Ecotopia
Trans’histoire – octobre 2024
Ecotopia, c’est à la fois le roman utopique d’Ernest Callenbach, et une utopie qui a trouvé son lieu à Faoug, petit village du canton de Vaud, au bord du lac de Morat. La région s’est ainsi enrichie d’un grand espace d’expérimentation écologique et sociale qui permet de prendre soin de la terre, mais aussi des humains.
Par Nathalie Ljuslin
L’utopie ne signifie pas l’irréalisable, mais l’irréalisé. L’utopie d’hier
peut devenir la réalité d’aujourd’hui.
Théodore Monod
Ecotopia, c’est un récit utopique publié en 1975 par Ernest Callenbach, et qui est une des fictions pionnières – et si rares! – à imaginer un futur désirable. Trois États de la côte ouest des États-Unis font sécession et construisent une société écologique radicale, avec de l’autogestion, des femmes au pouvoir, une décentralisation, vingt heures de travail hebdomadaire, un recyclage systématique…
Mais Ecotopia, c’est aussi une utopie réalisée ici, en Suisse, dans le canton de Vaud, à Faoug, dans un cadre idyllique au bord du lac de Morat, et qui dessine les contours du monde vers lequel ses fondateurices veulent tendre. C’est un groupe de trentenaires qui a décidé de créer un laboratoire d’expérimentation écologique à l’échelle de leur village afin de trouver ensemble des solutions pour demain. L’objectif central de cette association qui compte aujourd’hui 130 membres, est de sensibiliser à l’écologie en transmettant de bonnes pratiques ainsi qu’en expérimentant ensemble de nouveaux modes de vie en travaillant sur l’autonomie (en eau, en énergie, alimentaire).
Le principe clé d’Ecotopia, c’est la permaculture, dont les principes ont été développés par Bill Mollison et David Holmgren dans les années 70, mais qui est une recombinaison de savoirs anciens (reproduction des graines, lactofermentation, conservation, réutilisation des matériaux, valorisation de la matière organique sur place, etc.) et de nouvelles avancées scientifiques sur la compréhension de la vie du sol par exemple. L’éthique de la permaculture repose, comme le rappelle Théo Lavanchy, l’un des co-fondateurices, qui anime des formations, sur le fait de « prendre soin de la terre, mais également de l’humain et sur le fait de partager équitablement, en limitant la consommation en consommant selon nos besoins et en redistribuant les surplus. »
Plus concrètement, Ecotopia, c’est tout d’abord un espace vert qui respire l’abondance. Un verger avec de nombreux arbres à hautes-tiges était déjà présent sur le terrain de 2700 m2 mis à disposition par la mère de l’un des fondateurices contre bons soins. Une forêt-jardin, des potagers individuels ou collectifs sur des buttes de permaculture permettent aux membres d’expérimenter, grâce à des formations mensuelles et à la mise à disposition de matériel, des manières de cultiver respectueuses de l’environnement, du vivant et qui permettent de s’adapter au changement climatique. L’objectif est de créer un système autonome qui favorise les espaces de biodiversité tout en produisant une alimentation riche et variée sans aucun intrant. Une réflexion importante a été menée sur la récupération d’eau, grâce à des tranchées qui suivent les courbes de niveau, et des mares. Et des poules et lapins, récupérés de familles ou sauvés de l’abattoir, apportent encore de la vie et de la joie, en particulier aux enfants et aux classes d’école qui ont aussi un espace qui leur est réservé.
Mais Ecotopia, c’est avant tout un « lieu de convivialité » comme aime à le répéter Pauline Lavanchy, l’une des co-fondateurices. « La Faoug’rgonnette », une buvette associative, en est un des éléments-clé. Elle est au cœur des discussions sur les thématiques comme l’innovation sociale, l’écoconstruction, le low-tech, la biodiversité. Mais aussi des moments festifs, comme le festival Symbiose, les fêtes de saison ou les chantiers participatifs.
Un peu plus bas, dans une vieille grange, est installé l’atelier collaboratif, un local de 90 m2 entièrement équipé pour la mécanique vélo ainsi que pour le travail du bois, du métal, et de la forge. Ce lieu leur permet de réaliser des prototypes low-tech susceptibles de réduire leurs besoins en énergie et ressources, comme le séchoir solaire, des panneaux solaires sur pivot ou les toilettes sèches. L’atelier est ouvert aux membres de l’association afin de réaliser divers projets autant pour l’écolieu que des projets plus individuels, un suivi par des expert-e-s dans le domaine (soudure, réparation vélo, écoconstruction) est assuré lors des ouvertures. Tous les matériaux de récupération ainsi que l’outillage sont mis à disposition. Juste à côté se trouve une cuisine, qui sera aussi d’atelier de transformation pour les fruits du jardin.
L’association, forte de valeurs comme l’égalité et l’inclusivité, fonctionne en gouvernance distribuée avec différents cercles qui permettent aux membres de s’investir selon leurs préférences dans les multiples secteurs d’activités que propose ce lieu : cercle pédagogique, évènements, jardin, cuisine..
C’est certainement parce que cette équipe idéaliste ne savait pas que c’était impossible que ce petit miracle s’est réalisé. Heureusement qu’ils et elles sont un peu « Faougs », ces Vaudois-es, non ?