Fruits en cavale
Trans’histoire – avril 2024
Fruits en cavale, c’est une idée tellement simple qu’on se demande pourquoi on ne l’a pas inventée plus tôt : des bénévoles récoltent les surplus de fruits dans des jardins privés, en donnent un tiers à la personne propriétaire, un tiers à une association à but non lucratif et gardent le reste comme « salaire » pour leur travail. Bien entendu, les oiseaux ne sont pas oubliés, les fruits les plus inaccessibles leur sont destinés.
Par Nathalie Ljuslin
Vous oubliez que les fruits sont à tous et la terre à personne.
Jean-Jacques Rousseau
Si les fruits sont trop souvent laissés à l’abandon dans les jardins, c’est que la nature est souvent généreuse et qu’elle donne beaucoup d’un coup. Difficile pour une personne ou une famille seule de tout récolter et manger. A moins de faire des confitures pour les dix ans à venir… la nature nous incite donc au travail collectif et au partage. Les moissons et les vendanges par exemple sont en effet des moments de travaux en groupe, d’entraide et de fête.
C’est cette opportunité qu’a saisie la Neuchâteloise Perihan Incegöz qui s’est inspirée d’une initiative qu’elle avait découverte lors d’un séjour au Québec, pour créer les Fruits en Cavale. L’association fait le lien entre des personnes qui ont des arbres fruitiers qu’elles n’arrivent pas à cueillir dans leur intégralité et des bénévoles qui sont tout heureux-ses de pouvoir recevoir des fruits.
L’association met à disposition des escabeaux, des filets, des perches et des contenants. Elle tient également à jour une liste d’associations à but non lucratif qui seraient intéressées à bénéficier de ces récoltes : aumônerie, restaurants à but social, associations s’adressant aux personnes issues de la migration,..
C’est un projet aux multiples facettes. Il lutte contre le gaspillage alimentaire en valorisant les cadeaux de la nature, tels que raisins, pommes, coings, cerises, pruneaux, mirabelles, cassis, groseilles,… Faute de temps, d’outils adéquats ou de condition physique pour les personnes plus âgées, nombre de ces présents précieux sont en effet malheureusement laissés à l’abandon, et pourrissent. Pourtant les utilisations de ces fruits peuvent être multiples. En témoignent toutes les recettes échangées entre les bénévoles qui fréquentent ces cueillettes : gelées, confitures, tartes, fruits séchés, alcools forts … ou tout simplement cadeaux aux voisin-es ou à la famille. Les fruits hyper-locaux, non traités, sont très appréciés.
Pour les personnes qui cueillent, c’est un moment de connexion avec les arbres, la nature, et l’abondance. Mais aussi avec d’autres êtres humains. Comme le dit Sven, l’un des organisateurs : «Les Fruits en cavale récoltent bien plus que des fruits, ils tissent des liens et permettent une symphonie de générosité». Il est également intéressant de noter la mixité au sein des bénévoles : enfants, jeunes, personnes âgées, personnes de différents milieux, personnes peu francophones. Les fruits unissent. La récolte rappelle des pratiques vécues enfant ou ailleurs, dans le pays d’origine. C’est que c’est un acte universel, et qui s’est fait à toutes époques, et que nous redécouvrons dans nos villes.
En 2021, l’association a reçu le Prix de la citoyenneté, une reconnaissance importante pour cette « action de solidarité, qui met l’accent sur les circuits courts et les richesses inexploitées à deux pas de chez nous », qui leur a permis d’investir dans du matériel et surtout d’avoir une belle médiatisation. L’association a fait le choix de ne pas être sur les réseaux sociaux. C’est principalement le bouche à oreille qui fait son effet, et cette soudaine mise en lumière a facilité le recrutement de propriétaires et bénévoles. Ce qui leur manque à présent, comme le souligne Violaine Marmonnier du comité, c’est « de trouver quelques personnes supplémentaires prêtes à organiser les cueillettes, le petit coup de pouce qui rend tout ça possible. Ça demande un peu de travail en amont, mais qui aujourd’hui est vraiment facilité par notre nouveau site internet. »
Les cueillettes ont lieu entre mai et décembre… la toute dernière de l’année est devenue un rituel, c’est celle des kakis. Un plaqueminier a été repéré dans un jardin d’un immeuble en PPE. A force de voir cet arbre grandiose non cueilli, et faute d’arriver à prendre contact avec les propriétaires, l’association s’est décidée un jour à s’y pointer avec tout son matériel, ce qui a attiré des habitant-es de l’immeuble qui ont vu tout l’intérêt à collaborer. Et à présent, chaque année vingt à trente personne se retrouvent au pied de cet arbre pour faire des réserves de vitamine C hivernales.
Simple, et efficace, non ?
🌐 Site internet de Fruits en cavale : https://fruits-en-cavale.ch
Autres projets similaires : https://www.cultive-toi.ch/ (région lausannoise); https://sos-fruits.ch/ (région d’Yverdon-les-Bains) ; https://app.ekologio.org/website/sauve-qui-fruit/ (Fribourg)