Hériter d’un avenir maintenant
Trans’histoire – décembre 2023
C’est l’histoire inspirante d’une famille aisée du canton de Vaud, qui a fait face aux tabous liés à l’argent et à la mort, et qui a transformé un héritage en puissant levier de soutien aux initiatives de la transition sociale et écologique.
Par Nathalie Ljuslin
Quand le dernier arbre aura été abattu ; Quand la dernière rivière aura été empoisonnée ; Quand le dernier poisson aura été pêché ; Alors l’Homme saura que l’argent ne se mange pas.
Sagesse amérindienne
–Un jour, papa et maman héritent d’une vieille bâtisse. Elle vaut une fortune, mais elle n’est pas utile, les enfants adultes ayant déjà une vie relativement simple et ancrée qui leur convient. La maison est revendue et les entrées financières s’ajoutent sur un compte en banque déjà bien fourni. L’histoire pourrait s’arrêter là. L’argent, comme souvent, dormant dans des coffres jusqu’au moment de l’héritage (et permettant au passage à quelques investisseurs de se remplir les poches).
Mais dans la famille qui nous intéresse, ce n’est que le début d’une belle aventure. Une sensibilité écologique, un engagement politique et associatif sont déjà présents, des petits dons réguliers sont déjà reversés à des associations, mais pour Nicolas[1], le fils cadet, cela ne suffit pas. Il propose de réunir ses parents et son frère et de leur faire part d’une idée qui a germé dans sa tête et qui répond à son sentiment d’urgence vitale, celle d’investir au plus vite dans un futur désirable:
« Et si, plutôt que d’hériter dans 30-40 ans, on utilisait cet argent pour soutenir des projets qui nous tiennent à cœur, aujourd’hui? »
Une année plus tard, « l’association » a été créée avec pour objectif de « soutenir les acteurs de la transition écologique et sociale », avec un compte à la Banque alternative où une somme tirée de l’héritage anticipé a été versée. Nicolas a préparé une liste d’une cinquantaine d’associations de la région, et après de beaux échanges, une quinzaine d’associations vont être retenues. Elles recevront pendant 3 ans, une somme régulière, qui fera une différence.
Le choix des associations n’a pas été facile, mais il a été guidé par des coups de cœur, souvent des initiatives de la région : coopératives de maraîchage ou alimentaires. Des petits projets car pour la famille de Nicolas « small is beautiful, c’est dans les petites structures que réside le plus d’espoir de faire une réelle transition ».
La famille de Nicolas est partie du constat qu’un don à des petites structures peut réellement faire une différence. Elles ont souvent de la peine à trouver des financements, de la part des autorités publiques ou d’autres fondations, tant qu’une première fondation n’a pas pris le risque en premier. « L’association » est prête à prendre ce risque. Elle croit dans les projets qu’elle a choisi, et ne met pas de conditions à l’utilisation de l’argent. Certaines fondations exigent par exemple que l’argent aille à un projet spécifique ou ne soit pas utilisé pour des salaires. Ce n’est pas leur cas. Seuls les statuts et un bilan financier sont demandés.
Pas de rapport d’activité n’est attendu non plus. « Nous avons décidé de réduire au maximum les démarches administratives, qui épuisent souvent les personnes du terrain qui ont déjà assez de pain sur la planche. Nous avons décidé de privilégier l’humain». Et le rapport annuel se transforme souvent en échanges interpersonnels ou visites de projets.
« Pour nous, cette découverte de la réalité des projets sur le terrain a été très importante. Des prises de conscience ont eu lieu, et nous en avons surtout retiré beaucoup de plaisir et d’énergie positive. De constater qu’un autre monde, plus respectueux du vivant, existe déjà quelque part, cela redonne de l’espoir». Ce que la famille de Nicolas retient de cette expérience, c’est non seulement d’avoir osé anticiper la question délicate de l’héritage, souvent liée aux tabous de la mort et de l’argent, mais aussi d’avoir réussi à construire un projet concret et utile ensemble.
Si cette idée a été si facile à mettre en place, c’est que la famille était déjà bien sensibilisée aux enjeux climatiques et sociaux, et que les deux fils étaient déjà dans une démarche de sobriété et de simplicité. Que l’argent vienne d’un héritage n’est pas anodin non plus. Nicolas se rend compte que « les enjeux sont certainement différents pour des parents qui sont partis de rien, ont économisé toute leur vie, et veulent que les enfants profitent de ces économies. Ou si la famille a été habituée à vivre dans l’opulence, et que le don signifie une réduction du train de vie ».
Pour Nicolas, il s’agit vraiment de changer de mode de vie. De prendre conscience que « plus on a d’argent, plus on le dépense, plus on pollue », pour le dire simplement. Avec son expérience de sobriété depuis plusieurs années, Nicolas constate que sa tête s’est allégée, sa conscience apaisée, qu’il apprécie mieux les petites choses de la vie, et que même si tout prend plus de temps, il a de l’énergie pour faire ce qu’il aime vraiment.
Et s’il a accepté de témoigner – de manière anonyme, l’idée n’étant pas de donner un coup de projecteur sur sa famille – c’est surtout pour encourager d’autres à faire la différence et à inventer d’autres modèles économiques citoyens pour permettre à la transition de germer et fleurir partout. Plutôt que d’enfermer l’argent dans des coffres, planter les graines du monde de demain.
Le Réseau Transition a eu l’incommensurable chance de faire partie des coups de cœur de l’association familiale de Nicolas, don qui nous a permis d’envisager l’avenir autrement. Si vous aussi, comme l’association familiale de Nicolas, vous souhaitez investir dans la Transition, nous serions heureuses et heureux de vous rencontrer pour en parler.
[1] prénom d’emprunt