Village2Santé

Trans’histoire – juin 2024

Un centre de santé communautaire et planétaire, vous en rêvez ? Il existe à quelques heures de la frontière suisse, à Echirolles, un quartier populaire de Grenoble. Collaborations interprofessionnelles horizontales, égalité de salaires, accueil inconditionnel des soigné-es, démédicalisation des soins sont quelques exemples des pratiques pionnières qui y sont imaginées et testées en vrai. 

Par Nathalie Ljuslin

« Il faut autant qu’on le peut remonter à la cause »

Hippocrate

Une fois n’est coutume, sortons de nos frontières pour aller guigner ce qui se fait du côté de la France… et en matière de santé ! 

Nous avons déjà entendu parler des personnes qui quittent les métiers techniques à la sortie des grandes écoles. Saviez-vous que c’est le cas de certain-es jeunes soignant-es aussi ? Des jeunes qui ne trouvent plus de sens dans leur métier, tel qu’enseigné, et en dénoncent les dérives et les impacts sur l’humain et la planète. En effet, il est à présent largement reconnu que le déreglement climatique et la perte de la biodiversité sont une menace majeure pour la santé physique et mentale des populations mondiales et pour les générations futures. Par contre, l’on est souvent moins conscient-e que le système de santé occidental est lui-même l’une des causes importante de ces crises. En effet, notamment à cause de la production de médicaments que nous utilisons, notre système de santé contribue aux pollutions environnementales. Le système de santé suisse participe ainsi à environ 7% de la production de gaz à effet de serre produits par la Suisse, l’équivalent de l’aviation civile ! Et tout cela participe aussi à l’augmentation des inégalités environnementales et sociales de santé ! 

 

De jeunes médecins militants ont participé à la création de dix centres de santé communautaire en France, qui réinventent une santé plus humaine, moins médicale et plus respectueuse de limites planétaires. Nous avons eu la chance de visiter le Village2Santé à Echirolles, un quartier précarisé de Grenoble. Dans une jolie maison faite de paille et de bois brûlés récupérés, équipée de panneaux solaires et entourée de nombreuses plantes aromatiques, une équipe de 18 professionnel-les propose des activiés en trois volets : le volet médical, le volet social et le volet accueil/coordination médico-sociale. 

Une première spécifité de ce lieu de santé concerne  la place importante consacrée au non-médical, leur crédo étant d’arrêter de médicaliser les inégalités sociales de la santé. Les soignant-es du centre travaillent beaucoup leur posture, celle d’une écoute active et sensible aux signaux pointant vers des problèmes autres que médicaux (contexte de vie, violences familiales, souffrance au travail, stress lié à une situation économique). Les soignant-es essaient sans cesse de faire le lien entre la consultation médicale et les autres professionnel-les du centre, afin de chercher avec la personne une réponse à une difficulté qui dépasse de loin le seul état du corps. Plutôt que de prescrire un médicament, l’équipe va travailler sur les « causes », ce qu’on appelle les déterminants de la santé comportementaux, sociaux et environnementaux. En effet, si la génétique a une influence sur l’état de santé, elle n’y participe qu’à 20%, comme les soins médicaux qui n’y contribuent qu’à hauteur de 10% environ. Pour le reste, ce sont les comportement (40%), mais également les conditions environnementales (10%) et socio-économiques (20%). D’où l’importance d’un travail sur la promotion de la santé, mais également sur les conditions de vie et l’environnement des personnes les plus vulnérables. Village2santé a donc aussi des commissions de travail qui concernent le logement ou les discriminations institutionnelles. Il est accordé beaucoup de place au travail d’accueil, de lien et d’accompagnement social. 

 

Leur réflexion sur les rapports de pouvoir est également très intéressante. Le centre est d’emblée pensé comme un « lieu refuge, un lieu d’égalité profonde entre nous et avec les publics qu’on accueille, où les gens se sentent bien et légitimes » raconte Alexandre dans le magnifique livre de Claire Richard « La santé communautaire : une autre politique du soin » (éditions 369), avant d’ajouter en riant « Bon, on voulait aussi la révolution et le renversement du système en place.. ça, ça prend un peu plus de temps ! » L’équipe pratique l’égalité des salaires : médecins, infirmiers/ières, kinésiologues ou accueillant-es ont les mêmes conditions salariales (basses, certes, mais égales). Il n’y a pas de hiérarchie au sein de l’équipe qui s’est organisée avec une gouvernance partagée, horizontale. Et tout le monde participe aux nettoyages et au soin du lieu. 

L’ensemble du centre de santé communautaire participe à une réflexion sur le soigner autrement : un financement par patient plutôt qu’à l’acte thérapeutique, le travail sur la dignité et l’autonomie des soigné-es, une vision de la médecine holistique et intégrée, une démarche de proximité et de  quartier… il y aurait de quoi réaliser un film ! (Et il se trouve qu’il existe : https://www.youtube.com/watch?v=TPn_edifie0)

Des réflexions autour des maisons de santé émergent en ce moment aussi en Suisse romande. Des exemples existent comme à la maison de santé de Meinier, le centre de santé de la Blécherette qui vient d’ouvrir dans les Plaines du Loup à Lausanne, ou le tiers-lieu de santé d’Yverdon (la Case2santé).